Habiter digne




UN MONDE PARFAIT | Martine Feipel & Jean Bechameil
Galerie Gourvennec Ogor | 2013
Installation | Mixed Media



Habiter un corps ? Un lieu ? Habiter des tours.

Hautes, qui ne portent nulle part. Pas même au-dessus des nuages. Pas même semblant.

Lignes droites. Hauteurs, Largeurs. Cubes de vie. Toc Il y a quelqu’un. Troc il n’y a personne.

On ne veut plus de ces tours.

Mais leurs habitants respirent, encore.

Leurs descendants grondent l’indifférence reçue en héritage.

Et nous ?

 

 

Un monde parfait

 

Les grands ensembles, pour valider, rendre solide, moins visible. Ne reste que ceux qui ne peuvent plus y échapper.

Dans les caves : trafics de dope, de corps, de violences. Trafic de morts.

Il parait que les grands ensembles sont des coupes gorges.

Il parait que le projet était louable.

Dessiner au crayon des plans d’un monde parfait.

Rêver.

Il parait que les habitants ont des rêves.

 

Il devrait être interdit de rêver pour les autres. A la place.

 

Certains se fondent dans le surnombre quand ils intègrent la ville pleinement, qu’ils vivent, respirent. Les en marges, mal vus, mal aimés, mal réceptionnés par les transports, ne sont plus disponibles pour la vision idyllique et songéique de départ.

Grandes tours, petites tours ; pavillons accolés. Amas de projets d’années disparates.

On détruit les grandes. On rénove les petites. La population est relogée en périphérie. Encore plus loin. On ne la voit plus.

La mairie a réussi à rendre plus épure l’habitat.

Elle reconstruit.

 

Nos rues ne sont pas quadrillées, elles sont biscornues. Ajouts de lieux, terrain trop petit. Pas assez d’espace pour contenir la foule. On construit en hauteur. Quid des nuisances.

Que de nuisances !

 

Êtes-vous déjà monté dans une cage d’ascenseur ou la flaque d’urine n’est pas sèche ?

Ça grince, ça couine, ça prend à la gorge. Une cage d’ascenseur ou le môme traîne son sac de riz dans la flaque.

Un immeuble ou la moitié des appartements sont murés. Détritus jetés par les fenêtres. Déménagement par les fenêtres. Le vivant, par les fenêtres.

Pourtant, des familles y vivent encore.

On dit à cette mère : « Il faut que vous acceptiez la solution de relogement !». On ne comprend pas : « Elle exagère, étant donné l’endroit où elle vit, elle devrait être contente ! » Oui mais contente de quoi ? Pas d’exigences pour les pauvres. Ils n’ont qu’à subir l’extraction d’une autre vie.

Dépossédé, toujours dépossédé des lieux. Qui habite ?

Habités par les hauteurs. Par les odeurs. Même laid, même sale, même en colère c’est un lieu qui vit. Lieu famille. Nœud de vie, bruyant.  Semblant d’unité. Avant que ça dérape. Avant que ça leur échappe. 

 

Une cité, un bâtiment, comme un autre en déconstruction pour refleurir les places. Pour faire beau dans les regards. Les années que cela prend paraissent peu pour ceux qui ne foulent pas l’endroit. Pour les vivants : des années.

Dépérissants. Dépossédants.

 

Je suis juste une petite éduc qui foule les bâtiments. Je n’y vis pas. Je me dis : « Heureusement ! » et puis j’ai honte.  

Je me dis que je ne veux plus jamais m'asseoir sur un canapé plein d’urine de chat, que je ne veux pas manger du riz souillé. Mouillé. Je laisse, ou pas, les enfants confiés y aller ? Pour l’urine ? Pour la mère ? Comment choisir ? Quel degré ? Quelle orientation d’un lieu ou d’un vivant ? L’urine de chat, ou d’humain ?

 

Des grands bâtiments qu’on voudrait ne plus.

Avez-vous pensé à la suite Messieurs ? Vous êtes-vous projetés pour y vivre ?

Avez-vous songé à ceux qui ne pourront en réchapper ? Sans choix.

Les projets fleurissent, semblent viables, sur le moment. Que donneront-ils dans vingt, trente ans ?

On y est !

Grands ensembles : un projet pour les immigrés, les ouvriers et les cadres : sur le papier.

Les HLM mix de Renaud n’ont duré qu’un temps.

Sur le papier, c’est beau, c’est frais, ça sent même la rose. Dans les faits : ça déborde, ça dérape, ça s’humidifie. Le plâtre tombe. Et puis on juge : « Ils n’ont pas pris soin. Des sauvages » dit-on.

Qui vit là ?

Bâtiments à faible matériau, a déflagration programmée ? Promiscuité des corps, des valeurs, des besoins, des envies, des rythmes de vie. Cacophonie.

Ghetto misère crée par ceux qui n’y vivront jamais. Pas même l’intention. On observe de loin. On voudrait nettoyer au karcher. Certains ont construit ; d’autres ont projeté. A la place. Toujours à la place. Le gouvernement crache des lances sur la population. Avant bidonvilles avant sous métro avant la chapelle. Avant l’absence.

Et la dignité ?

 

Des poignées de mains entourées de gardes corps ne suffisent pas à se dédouaner. Il faut plus. Méritent plus. Doivent compter.

Les êtres humains devraient vivre en dignité.

Vous leur montrez ?

Portez-vous ce sac de riz qui arrivera dans l’appartement souillé par l’urine d’un désaxé, désœuvré, gamin encagé ? Comment compte-t-on ? Qui décide la valeur ? D’un lieu, d’un homme. Bien nés pas nés pas assez trop. 

Non, traverser la rue ne suffit pas, là. Il faut plus! Les mots trop faciles.

Les rues torpillent. Les rues vacillent. Traverser la rue et rester dans l’urine ?

 

Les villes nouvelles n’ont jamais existé. Elles persistent, bancales. Debouts, restructurées. Hybridation impossible entre les citées de Ledoux et les utopies Corbuséennes.

L’ère industrielle et son ordre urbain vertical. La tour se veut majestueuse, imposante, écrasante. Nouvelle vie, nouvel usage. OUI MAIS

S’élever ne rime pas toujours avec félicité.

Nos tours les plus grandes sont symbole de capital (travaillons) et de décrépitude (habitat sociaux). Symbole du chacun chez soi, rejet de l’autre.

Ces familles qui s’entassent n’ont rien à voir avec les dominants qui observent de haut.

Construire des tours, pour la praticité.  Moins de place, illusion communautaire.

 

Oh toi qui a fait une grande école, que l’on ovationne, oui toi celui qui a réussi à déloger ton épingle du bitume. Tu seras érigé en exemple du quand on veut on peut. Oui mais non. Il ne suffit pas de traverser la rue. Il ne suffit pas de descendre l’ascenseur (en panne, souvent) ni d’avoir le courage de remonter les étages avec les courses et les bébés dans le dos, pour prouver que l’on a le droit à sa part.

 

Où existent ces vivants dans les discours ?

Stromae lève son verre « a ceux qui n’en ont pas, ceux qui ne célèbrent pas ».  

Levons nos mots. Que notre langue soit impeccable. Ceux qui n’en ont pas brilleraient sûrement avec les possibles.  Pas tous. Mais les éminents non plus ne brillent pas tous.

Restons à hauteur d’humanité.

 

 

Rentabilisons les enfants

 

L’immeuble a été pensé pour sa fonctionnalité. Le quartier. Rentable. Rentabilisons. Rentabiliser.

Des cages d’escalier sombre puantes. Urine urine. L’ammoniac s’infiltre dans les poumons. Pisse de chien, d’humain. Marquage de territoire. « Il ne te plait pas mais il est à moi ! » Conçu pour nous, vous. Appropriation de l’autour. On y laisse les miettes de l’espace public investi, envahie par les hordes de jeunes qui se déploient dans l’inaction, désœuvrement, vie sans garde-fou ; parents abandon, parents labeur, parents épuisés. On leur dit : « c’est de votre faute ! » « Tu te les tapes toi, les 3h aller-retour pour aller faire le ménage de nuit, deux fois dans la journée pour un salaire de misère qui ne paye ni les baskets pour faire bien chez les copains, ni la nourriture pour faire plein ? »

 

Viens, je t’invite, tu diras « faut changer ça ! »

Oui mais pour les générations perdues on fait quoi ?

Parce qu’eux aussi construisent. La suite : les enfants sont déjà là !

L'État a des projets. Grandiloquent pour les autres. Sauveurs en sont état.

 

Mettre les pieds dans les lieux.

Y mettre les pieds et les mains et le corps tout entier. Cambouis de constructions qui font bien sur le papier, devenu gruyères asséchés.

Temps argent nuisance délabrement.

Et les enfants ?

 

 

Bribe d’enfance

 

Je suis envahie par ces grands immeubles. Vécus, lus, visiteuse qui s’impose.

Il paraît même que j’y suis née.

A ma naissance, les pompiers y avaient leurs logements de fonction.  Un soir ma mère rentre, après son service à l’AP. Nourrisson dans les bras. Elle se fait bousculer par des jeunes venus d’ailleurs. Le quartier est sacré, ceux d’ici viennent l’aider. Avant, les pompiers y habitaient. Avant les objets par les fenêtres, les feux de poubelles, la détestation plus vive de l’ordre public. Parce que l’ordre pour les autres, parce que la justice chez les dominants.

Avant, la population s’y mélangeait.

Maintenant les pompiers ont des codes. Codes jaune le camion part avec ces hommes dedans. Code rouge, ils courent en laissant le camion. Les quartiers ont changé.

Avant, les bébés dans les bras étaient en sécurité, maintenant les bébés qui ont la chance de ne pas y être nés, n’iront pas, sauf s’ils y travaillent ; comme moi.

 

 

Un point de départ

 

Donnons un cadre dans un chaos qui mériterait rasage immédiat. Qui mériterait construction avortée.  Je suis habitée par ces lieux et ces visages de familles usées à qui l’on donne des os à ronger.

Ce sac de riz. Cette décharge à ciel ouvert. Puisque de toute façon l’immeuble va s’effondrer, à quoi bon préserver ? Pendant ce temps des enfants y vivent, y jouent, sont aimés, mal aimés, mal traités. Comme on peut. Avec ce qui existe, ce qui transpire, ce qui se laisse attraper.

 

J’ai été dépossédé de mon sujet. Je voulais un sujet serein, reposant, qui caresserait, qui scintillerait les regards.

Celui-ci s’est imposé. Il vit en moi depuis de nombreuses années. Sûrement, depuis le sac de riz traîné dans la flaque.

Un sujet propre et lisse intéresse qui ? Un sujet chaos et vide intéresse qui ?

A choisir ? L’action ? La lutte ? Choisit-on vraiment ce qui s’impose ?

Le corps engrange l’indignité jusqu’à l’implosion. Jusqu’à un appel à texte qui dit parlons de lieux.

Ceux-ci s’imposent. Ils n’ont pas de direction. Ils n’ont pas de noms. Ils sont multiples. Ils sont calés sur le même moule. Des tours de cités. Quelques diversités d’angles pour s’amuser, le fond la forme reste le même. Ils peuvent brûler. On les observe de loin. Ces autres qui vivent dans le même pays mais n’en font pas vraiment partis, sauf en lavant les salles de bains ou en engorgant les RER. 

Ils ne dérangent personne du moment qu’ils ne débordent pas trop.

Les lieux font-ils leurs habitants ou est-ce l’inverse ? 

Ces grands ensembles ont créé des coupes- circuits sociétaux. Un monde, plus un autre, plus un autre. Des mondes composent ce pays. Opposés, disparates.  Certains, méritocratie oblige, se hissent. On les porte aux nus. Ils n’iront plus dans ces grands immeubles. Fuir. Fuir.

Si l’on ne pense qu’à fuir lorsqu’on peut, est-ce un pari digne d’habitat gagné ?

 

J’ai toujours été intriguée/fascinée par ce que l’on nomme les grands ensembles. Ce terme (pas l’architecture) m’est apparu pour la première fois en école d’éducatrice spécialisée, lors d’un cours sur la politique de la ville.

Depuis j’y pense souvent.

Décortiquons les images.  Grandes hauteurs/ Grands ensembles :  quel espace ? Pour qui ? Si l’on considère le rapport mètres carrés habitants y-a-t-il vraiment lieu de célébrer les grands ensembles ?

 

Grand ensemble vs grands espaces.  Lorsque je pense aux grands espaces, je vois la nature vierge américaine. Broussaille. Immensité. Dans les grands espaces, du gris gris gris. Je vois les kilomètres de bétons qui emmurent. Gris, gris bitume. La « Cité radieuse » du Corbusier est devenue relégation.

Même abordé d’une quarantaine de teintes par Aillaud, l’environnement gris prend le dessus. On ne chasse pas le surnombre à coup de pinceaux.

 

Gris, gris bitume, gris enclume, gris sature, asphalte chaud, désœuvré.

Gris sol des hommes qui dorment au sol, des enfants, des familles qui mangent le gris du bitume pendant que des pas les enrobent, les enroulent, les indiffèrent.

Gris, gris, gris terne, gris cheveux qu’on doit cacher, teindre, voiler, maîtriser.

Gris abus. Abusées, désabusées, dominées, violentées, violées, torturées, assassinées. Gris la peau de celles qui meurent. Gris froid, gris nus, des peaux mortes.

Gris autorité, c’est comme ça qu’on doit penser, aimer, coucher, désirer, saturer. Saturer d’injonctions, grises qui déstabilisent.

Gris relations de ceux qui n’ont pas appris, pas compris pas été suffisamment bordé. Gris ce qu’ils avortent.

Gris ce manque de délicatesse, attention, chaleur, douceur. Caresse.

Caresse

Gris ceux qui ne savent pas être à l’autre sans le détruire.

Gris ceux qui pensent que leur voix a plus de poids.

Gris le désespoir qui s’abat lorsque l’on croit que la lutte n’a pas plus de choix, poids, voix (e).

 

 

Lorsque je pense tour, je pense hauteur puis anéantissement. Puis, viennent les applaudissements pour les cités, les hurlements pour le World Trade Center. Les tours qui tombent ne font pas le même effet avec des gens dedans.

Pour autant, l’humanité est-elle vraiment évaporée de ces immeubles explosés ?

Ou a-t-on mis les âmes ?

 

 

A hauteur d’homme

 

Un concept de cité antique si loin de nos cités ghetto ou les plus filous éradiquent les autres. Trimer brave gens et revenez au bercail dans cette immensité de béton.

Multiculturel de misère. Où êtes-vous ? Oui vous, ceux qui avez pensé soigneusement ces espaces ? Grands ensembles pour vivre mieux ?

Examinons le produit.

Ghetto pour les plus bas du peuple du bas.

Et la solidarité ?

 

Elle est là, touchée du doigt. Mais surtout ne produisez pas trop, ne créez pas trop, ne faites pas trop corps, communauté pour ne pas faire peur à l’état technocrate. Filez doux, agitez-vous loin de ceux qui vivent bien. Mieux ?

Loin de la vision idyllique d’une France qui se veut mains serrées lorsqu’elle divise divise divise. On préfère les voir cloitrés que s’élever.

Les tours juste pour la beauté du geste qui ne vient pas. Trop contraint, trop quiché, trop contenu. Les voix doivent pouvoir s'élever ailleurs. Plus haut, plus loin. Se libérer des projets pensés par d’autres pour d’autres.  Des projets à hauteur d’homme.

 

Les habitants s’organisent, tentent, expérimentent. Pendant ce temps, pour accueillir les JO on détruit des jardins ouvriers/communautaires pour des infrastructures qui coûteront trop cher pour que les habitants puissent ensuite en profiter. Pour qui ? Par qui ?

Réhabilitons la politique de la ville par ces citoyens. Ceux qui vivent dedans. Dans le quartier. Pas les autres qui veulent élever à la place. Ne pensons pas à la place. Concertons. Demandons l’avis aux concernés.

 

 

Fuir pour ne pas

 

Toujours plus, toujours plus loin, toujours plus haut. Des tours qui fendent le ciel mais qui ne donnent pas d’espoir à ceux qui les foulent, y dorment, y mangent. Claquemurés. Cage à poule XXL. 

Que les tours tombent, qu’elles restent debout, leurs habitants rêvent.  Les voyons-nous ?

 

J’habite maintenant le sud. Soleil qui caresse les joues. Pavillon/Villa. A l’horizontal. Dans un village. Quatre faces pour la tranquillité.  Je me suis extraite. Lâche. Et si mon confort était lâche ? Mes filles grandiront dans du vert, entouré d’arbres et d’oiseaux qui chantent. Suis-je lâche ou lucide ? Ai-je simplement les moyens de mes espérances ?

 

J’ai fui. Je suis née grisaille, 93. J’ai vécu grisaille 77, je suis retournée capitale grisaille, quartiers populaires. Je n’aurais jamais demandé de logement social dans une ville en tourée. J’ai fui pour ne pas.

 

 

Un regard biaisé

 

Peu importe le lieu, peu importe ses habitants et leurs raisons d’exister. Peu importe que la tour possède 10 étages, qu’elle soit plein soleil ou pluie. Peu importe, c’est le regard que nous portons sur le quartier qui compte.

Une cité instille la crainte. On ne sait pas ce qui s’y passe, on imagine. A partir de faits divers dont l’homme se repaît.

L’homme ne sait pas la confusion qu’il recevrait en échange d’une écoute. Entendre le ronronnement de la communauté qui s’active. Des femmes qui prennent en main la jeunesse délitée. A force de taper sur les lieux, on ne voit plus les êtres qui y vivent. Survivent ?

Est-ce juste de vivre dans des espaces aussi peu équitables ? Espace de non droit ou la police se déplace en chasseurs. Les enfants sont des proies, puis des délinquants en devenir. Il faut les mater, qu’ils filent droit. Le faciès devient leurs signatures. Étiquetés non droit.

 

Le beau se cache aussi là-bas ; tu vois ?

 

Y a-t-il besoin de photos, d’illustrations pour traduire les lieux ?

Ils existent dans l’imaginaire collectif. Viral. Les quelques-uns qui trouveront grâce et fuiront ne dénonceront pas, ils ne peuvent pas pour rester coquille là où ils ont percé. Conforme pour rester vivre de l’autre côté.

Mais l’humanité se niche partout. Un coin de toit, un coin de canapé. Même un coin d’escalier lorsque la lumière n’est pas cassée.

Le reste existe aussi. La cité fait partie de la société. Elle se plie à ses règles. Ici ça deale, ici ça viole, ici ça chômage mais ici ça bosse, ça aime, ça répare, ça solutionne.  Ici ça vit.

Le lieu n’est pas prétexte mais il n’aide pas à s’extraire, à penser le beau.

Tout concourt à la laideur dans ces grands ensembles imaginés pour briller.

Pourtant ici, ça joie, aussi.

 

 

Le bonheur du confort moderne

 

Ma belle-mère raconte.

Lorsqu’elle était petite fille (elle a 68 ans), elle a vécu jusqu’à neuf ans dans une ferme. Il y avait l’eau courante, pas chauffée. Ils ont ensuite déménagé dans une tour en périphérie de la ville (elle a depuis été dynamitée). Ils avaient pour voisins des avocats. Leur mère ne les laissait pas sortir pour ne pas déranger, pour ne pas être visible. Les indigents ça se cache.  Avant les tours, elle jouait librement dans les champs avec ses frères et sœurs. L’arrivée dans ces appartements représentait un luxe imposant. A la ferme il y avait la liberté, le potager et la rudesse de la vie à la campagne. Dans la cité il y avait l’invisibilité, l’horizon restreint mais l’eau chaude et un espace pensé pour une famille nombreuse.

Le père, maltraitant, resta le même.

Très rapidement les classes moyennes/ supérieures sont parties. Sont restés les pauvres.

La ghettoïsation a commencé avec le surpeuplement et la promiscuité que cela suppose, pour le corps, notamment le corps des femmes, malmenées, déchirées, sexualisées. Une autre histoire.

 

 

Pour clore

 

Cette année, j’ai lu Là où nous dansions de Judith Perrignon. Elle y évoque Détroit et sa périclitation. Les tours du Brewster Project et leur promesse d’accession à des logements décents pour les afros-américains qui survivaient juste.  Les tours sont vides mais debouts. Devenus repères de dealers et autres gangs. Elles ont vu naître les suprêmes. Détroit a vu percer de nombreuses étoiles de la soul. Une ville étrange. Synonyme de promesse un temps puis triste. Bilal Berreni y est mort, au pied d’une tour, vide ; par héritage désœuvré. Cet artiste français qui parcourait la vie, s’engageait en révolution a été tué par des jeunes à l’abandon. Ces tours, symbole d’opulence et d’avancée sociale sont vides et désenchantées, en Amérique, comme ailleurs. Eleanor Roosevelt en était fière. Et nous ? Elles trônent rouge délestées de rires, pleines de recoins sombres.

Comme nos grands ensembles, elles ont fait un temps qui s’étire, bancal. Banal ?

 

Ceci comme une tentative de compilation architecturale d’années emmurées, de béton coulé, de vies assiégées.

On met en œuvre, comprend l’erreur, destruction et puis recommencement.  

Est-ce pour ce petit garçon au sac de riz traîné dans l’urine ? Est-ce pour le nourrisson devenu éduc désabusée ? Est-ce pour les Bilal Berreni qui luttent.

Ce n’est pas une mise en valeur des lieux, ni de l’architecture, c’est une mise en valeur de l’humain et de la dignité.

Un plan militant habité.

Une complainte.

Construisons digne.

 


Jen Hendrycks


Commentaires

Articles les plus consultés